
Christian Bobin est décédé le 23 Novembre dernier. Auteur de nombreux ouvrages poétiques, marqués par la spiritualité, il s’était largement fait connaître avec le Très-bas en 1992, consacré à St François d’Assise. Il venait de publier un dernier recueil, le muguet rouge.
Voici une page de son œuvre l’autre visage, figurant dans son recueil La présence pure.

Je m’installe dans un lieu calme pour un temps de prière. Je fais silence en moi, pour me préparer à recevoir les mots du poète.
Je lis lentement le texte, laissant retentir intérieurement les expressions, les images que les mots évoquent.
J’observe le texte, me laissant rejoindre par les mots.
L’évocation contrastée de la vérité.
La froide objectivité (chiffres, raison, preuves) opposée à un accueil spontané, comme un chant entendu.
L’éloignement peu accessible (du monde, de l’horizon) opposé à une proximité, une saisie aisée (elle chante dans le proche).
Une vérité à poursuivre, à chercher laborieusement, une vérité qui se dérobe sans cesse (devant vous, devant le promeneur, devant le matin, en face) opposée à une vérité proche, facile à saisir comme ce qui nous enveloppe simplement (au milieu de nous).
Puis la vérité comme ouverte, offerte aux enfants, agiles dans leurs mouvements, habiles à saisir la fragilité de l’Espérance, « herbe verte entre les mains ».
Enfin la vérité, non pas le fruit d’austères spéculations, d’arides réflexions, mais derrière le jeu enfantin de la devinette.
Je parcours alors les « devinettes », m’arrêtant sur une image qui me touche particulièrement pour la goûter, ou, au contraire, sur une phrase qui me résiste, qui me déconcerte, pour tenter de lui donner sens.
Je m’appuie sur ce texte pour nourrir ma prière
Elle (la vérité) n’est pas au bout du chemin, elle est le chemin même. Elle n’est pas en face, mais au milieu de nous.

En écho, les Écritures.
« Je suis le chemin, la vérité, et la vie » (Jean, 14,6)« Car là ou deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu, 18,20)
« Vous saurez que je suis au milieu d’Israël, moi, que je suis Yahvé, votre Dieu. (Livre de Joël, 2,27).
Chez nous, la vérité n’a rien de semblable. La vérité, pour le chrétien, n’est pas un concept, mais une personne, la Personne du Christ. Chercher la vérité, pour le chrétien, n’est pas de livrer à une réflexion abstraite, mais à s’engager dans une rencontre.
Et moi, aujourd’hui que puis-je dire de l’étape où je suis de ma rencontre avec le Christ, « chemin, vérité et vie. » ? Chemin facile, chemin malaisé, semé d’obstacles ?

Nous sommes dans la vérité comme des enfants dans l’eau profonde.
Ainsi allons-nous dans la vérité, comme un enfant dans ses jeux
Car si chez vous la vérité est un vieillard, chez nous c’est un enfant.
En écho, les Écritures.
« Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des Cieux leur ressemble. » (Marc, 10,13)
« En ce temps-là, Jésus prit la parole, et dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. » (Matthieu, 11,25)
Et moi, aujourd’hui, suis-je capable de retrouver ma disponibilité d’enfant pour m’ouvrir à la nouveauté de la Bonne Nouvelle ? Toujours prêt à dire, et toujours prêt à jouer ?
Vent, neige, aube, pluie, étoiles feuillage…
Beaucoup des « devinettes » du poète font appel à la nature, comme l’Évangile nous invite à contempler le semeur, le lys des champs…
La vérité est d’abord dans la conversion du regard pour nous émerveiller de ce qui nous est donné.

Et moi, aujourd’hui, de quoi puis-je m’émerveiller ? Que, qui puis-je contempler comme un rayon de vérité, qui m’ouvre à la beauté et à la bonté.
Dans une conversation, où je m’adresse au Seigneur comme un ami parle à un ami, je partage les fruits de ma prière.
Je termine en disant la prière de St Ignace
Prends Seigneur et reçois Toute ma liberté, Ma mémoire, mon intelligence Et toute ma volonté. Tout ce que j’ai et tout ce que je possède C’est toi qui m’as tout donné, à toi, Seigneur, je le rends. Tout est à toi, disposes-en selon ton entière volonté. Donne-moi seulement de t’aimer Et donne-moi ta grâce, elle seule me suffit.